Michel Vaillant Art Strips: « Jean Graton nous a dit : ‘Surprenez-moi !’ »

A la rédaction, en réfléchissant à un cadeau sympa pour les fêtes, nous avons pensé aux Art Strips de Michel Vaillant. Puis, on s’est dit : « Mais pourquoi ne pas rencontrer Dominique Chantrenne, à la base de ces œuvres ? » L’occasion de discuter Art Strips, mais aussi de l’intégralité de l’œuvre de Jean Graton…

Publié le 28 novembre 2017
Temps de lecture : 10 min

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Michel Vaillant Art Strips: « Jean Graton nous a dit : ‘Surprenez-moi !’ »

Michel Vaillant, c’est une histoire de famille, autant dans la fiction qu’à la réalisation. Car aujourd’hui, Philippe Graton, le fils de Jean, est à la barre des scénarios de la nouvelle saison de Michel Vaillant. Dans l’aventure, son épouse, Dominique Chantrenne, occupe le rôle de directrice artistique pour la Fondation Jean Graton. C’est d’elle qu’est venue l’idée des Michel Vaillant Art Strips qui propulsent des célèbres cases de la BD dans l’art contemporain. A la Fondation Jean Graton à Bruxelles, là où nous nous sommes donné rendez-vous, Dominique Chantrenne en parle avec passion et enthousiasme. A tel point qu’on s’est même demandé si on devait vraiment lui poser des questions…

A peine entré dans la Fondation, face à l’Art Strips « Julie doit réussir », Dominique nous parle de son œuvre…

« Les Art Strips existent sur support en plexiglas ou sur support en papier. Je pars de vignettes de Jean Graton, plus ou moins retouchées. A l’époque, il dessinait au crayon puis il encrait au pinceau. En fonction de la quantité d’eau dans le pinceau, il y a plus ou moins de transparence dans le trait. Quand il avait fini d’encrer, Jean gommait. Comme je repars de ces planches originales, sur lesquelles il a parfois mal gommé, j’arrive à remontrer toute la sensibilité de son travail de base, crayonné et encrage compris. Je reprends également les coloriages originaux, mais je les retravaille aussi. Car le but des Art Strips n’est pas de faire le simple agrandissement d’une case, mais bien de créer un tableau. Ainsi, je tente toujours de garder le message universel de la case. Je dois donc sortir de l’aspect narration voulu par Jean Graton. Je supprime parfois le décor, et bien sûr, à de rares exceptions près, le texte. Pour l’Art Strips Vroaw par exemple, j’ai gardé le bruitage que j’ai déstructuré sur deux lignes, ce qui ne s’est jamais vu dans l’original. Mais je ne me permets pas de redessiner l’œuvre. Je travaille toujours avec beaucoup d’humilité car cela doit rester, au premier coup d’œil, du Jean Graton. Je travaille aussi avec de l’audace car je dois prendre une œuvre et en ressortir ce qui pourrait en faire un tableau. Le but est de faire une œuvre graphique à partir d’une autre œuvre graphique. »

Comment vous est venue cette idée des Michel Vaillant Art Strips ?

« Cela fait 20 ans que je travaille sur l’œuvre de Jean Graton, avec Philippe Graton et Jean-Louis Dauger, entre autres. Cela fait donc 20 ans que je manipule les originaux. J’ai toujours été frustrée en voyant la qualité de ceux-ci, qui sont réduits sur planche par après. La BD est quand même le seul art où on prend l’œuvre d’un artiste et qu’on la réduit. De mon côté, j’ai donc voulu agrandir ces œuvres ! Lorsque j’avais un peu de temps libre, je faisais des essais. Puis, un jour, Jean-Louis Dauger est tombé sur ces fameux essais en me demandant ce que c’était. Je lui ai répondu que je n’avais pas le temps de m’en occuper mais finalement, 6 mois plus tard, on faisait une première expo privée, ici, à la Fondation Jean Graton. A la base, cette expo était aussi une sorte de test, avec des amoureux de l’automobile, mais cela a été un grand succès. Nous avions 13 Art Strips. La soirée avait donc pour thème « Le 13 est au départ ». Ce chiffre a toujours été important dans l’œuvre de Jean Graton. Il est entré dans la BD un vendredi 13, entre autres… »

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Aujourd’hui, vous en êtes à 35 Art Strips, exposés à travers le monde entier ?

« 35 Art Strips, c’est bien ça. Mais cela reste très franco-belge avec des expos lors d’événements à Monaco, Paris, Lyon, Bruxelles, etc. Chaque Art Strips est accompagné d’un petit texte. C’est Philippe Graton qui s’en charge. »

Comment êtes-vous tombée dans l’univers Michel Vaillant ?

« Je suis graphiste. Grâce à cela, j’ai rencontré Philippe Graton il y a 25 ans environ. A l’époque, Philippe souhaitait lancer les ‘Dossiers Michel Vaillant’, mélange de texte et de BD. Il a donc fait appel à moi pour la collection. »

Jean Graton a toujours donné une belle place aux femmes dans son œuvre. De quel œil voyez-vous cela ?

« Lorsque Jean Graton a commencé, mis à part la Castafiore dans Tintin, il n’y avait aucune femme dans la BD. C’était très compliqué. Pour vous donner une idée, le patron des Editions du Lombard de l’époque, ecclésiastique, lui aurait dit ‘Que va-t-il se passer si les garçons, dans leurs chambres, voient des femmes dans les BD ?’. Le message était clair. Pourtant, Jean a réussi à imposer les femmes dans ses histoires. Il travaillait aussi avec sa femme coloriste, Francine. C’est même elle qui a eu l’idée de qui serait le ‘Pilote sans visage’. Pour Jean Graton, oui, la femme a donc toujours tenu une place importante. »

Encore aujourd’hui, il suffit de lire le dernier album de la nouvelle saison…

« Oui, tout à fait, mais c’est bien normal car la nouvelle saison a évolué avec son temps. Le milieu automobile a bien changé et les personnages aussi. Françoise, la femme de Michel Vaillant, est donc par exemple beaucoup plus active dans la nouvelle saison. »

Comment vous y retrouvez-vous dans cet univers masculin ?

« Je suis arrivée avec mes compétences dans le graphisme. J’ai donc amené un tout autre éclairage, qui sortait de l’automobile. J’ai fait prendre conscience que les dessins de Jean Graton étaient un patrimoine artistique incroyable. Il suffit de retourner aux débuts : Jean faisait une couverture sur quatre du Journal Tintin. D’ailleurs, pour les Michel Vaillant Art Strips, je me suis donné une règle : ne travailler qu’à partir de ce que j’appelle la période dorée de Jean Graton : du tout début aux années ’70. J’ai décidé de ne pas sortir de cette période-là. En plus, durant ces années, l’âge d’or de la BD a côtoyé l’âge d’or de l’automobile, ce qui donne une force supplémentaire aux Art Strips. Mais j’en ai quand même parlé à Jean pour avoir son avis. Au départ, il n’était pas d’accord car il n’aimait pas son dessin lors des premiers albums. Il était donc prêt à m’enlever ‘Le 13 est au départ’, ‘Le pilote sans visage’, etc. Un peu insistante, je lui ai alors dit qu’il n’en était pas question car il y a une telle harmonie dans son dessin que tout se tient. En fait, j’ai réalisé à ce moment que Jean ne s’est jamais senti artiste mais plutôt artisan qui faisait de la BD. »

Pourtant, la BD est déjà un art en soi. L’œuvre Michel Vaillant a été reconnue. Mais avec les Art Strips, peut-on parler d’une sorte de seconde reconnaissance du travail de Jean Graton ?

« Exactement. Nous avons voulu mettre en avant le travail de Jean, son œuvre artistique. Et c’est vraiment avec les Art Strips qu’on voit que l’art et la BD se correspondent bien. Mais on ne veut pas que cela devienne muséal. Notre souhait est vraiment de faire vivre cette œuvre, par tous les moyens possibles. C’était aussi le souhait de Jean qui nous avait dit ‘Surprenez-moi !’. »

D’ailleurs, l’œuvre vit plus que jamais car en 2012, Michel Vaillant a roulé pour de vrai en championnat du monde des voitures de tourisme (WTCC), en 2017, il a roulé aux 24 Heures du Mans et ce week-end (l’interview a eu lieu le vendredi 17 novembre, NDLR), il roulera même en Formule 3 à Macao !

« Cela s’explique par nos trois passions : Jean-Louis Dauger, c’est la course automobile. Il roule un peu lui-même. Philippe, sa passion est de raconter. De mon côté, c’est le graphisme et avec mon expérience dans la publicité, ça aide. Nos spécialités à tous les trois nous permettent de créer de tels événements. »

En reprenant le titre d’un album Michel Vaillant, quel a été votre plus « grand défi » ?

« Le film produit en 2003 a été l’un de mes plus grands défis sur la durée car nous avons vraiment voulu bien faire les choses. Il y a eu 2 ans de négociation et puis tout le travail avec le réalisateur, Luc Besson. Un deuxième gros défi pour moi, ça a été le passage de la première à la nouvelle saison. Nous nous sommes forcés à penser autrement. Il fallait reconnaître Michel Vaillant tout en l’ancrant dans la société actuelle. J’ai donc rédigé des chartes pour les personnages existants. Pour Françoise Vaillant, je me suis inspirée de Sofia Coppola. Michel Vaillant, lui, est un mélange de Steve McQueen et Jean Dujardin. »

Retransmettre une case de BD sur une voiture, la Honda Civic Art Car, cela n’a pas été un grand défi ?

« Oui, un grand défi mais surtout de l’amusement ! C’était un honneur pour moi. Jean Graton a amené la voiture dans la BD. J’ai amené la BD autour de la voiture. Nous sommes partis de l’Art Strips « A fond » et on l’a emballé autour de la voiture… Mais à nouveau, ce qui est génial dans cette histoire, c’est la transversalité de l’œuvre : Jean Graton crée une case, que je transforme en Art Strips, qu’on emballe autour d’une voiture de course et qui au final, crée un jouet pour les enfants car nous avions créé une version miniature en carton qu’il était possible de confectionner soi-même. »

Où Philippe Graton, votre mari, va-t-il puiser son inspiration ? Peut-on dire qu’il est davantage sur les circuits que dans les bureaux à créer des scénarios ?

« Tout dépend des histoires. Mais Philippe est fort ancré dans le milieu automobile. Nous sommes en fait les gens de l’automobile qui créons des BD et non l’inverse, c’est-à-dire des créateurs de BD qui utilisons l’automobile comme thématique. Evidemment, avec son papa, Philippe est tombé dedans quand il était petit. Mais au début, il n’aimait pas trop car sur les compétitions, les enfants étaient dans le chemin, ne pouvaient pas toucher les autos, etc. C’est donc plutôt comme raconteur d’histoires que Philippe a commencé à apprécier, surtout en tant que photo-reporter. Par exemple, le tout premier scénario de Philippe, ‘La piste de Jade’, est issu de son voyage au Vietnam. »

Michel Vaillant, autant l’œuvre que le personnage, représente quoi pour vous ?

« Michel Vaillant est inscrit dans le temps mais, malgré son âge, il vit aussi dans le temps. Il n’est pas enfermé dans une époque. Ce qui est rare dans le monde de la BD ! Michel Vaillant, c’est toujours une fenêtre ouverte sur ce qu’il se passe dans l’actualité, sans trahir le personnage initial. Voilà pourquoi nous avons lancé une nouvelle saison. Et notre plus beau retour, c’est lorsque Jean Graton a lu le premier album de cette nouvelle saison en nous déclarant : ‘Je veux la suite. Continuez. Surprenez-moi !’ »

Intéressé par les Michel Vaillant Art Strips? Commandes et renseignements via maxime.pasture@outlook.be

CREDITS PHOTOS

© Chantrenne/Gaasmaster/Graton Editeur 2017

© Fondation Jean Graton 2017

 

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