ESSAI Ford GT: l’exception

Une Ford à un demi-million d’euros déjà sold-out, vous y croyez, vous!? Nous sommes allés l’essayer près de Salt Lake City pour tenter de comprendre. Derrière le volant, cette fois!

Publié le 29 juin 2017
Temps de lecture : 13 min

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ESSAI Ford GT: l’exception

Personne ne vous le dira chez Ford mais les financiers doivent quand même avoir quelques regrets. Avouez: commencer à produire une voiture et se rendre compte que tous les exemplaires sont déjà vendus, il y a de quoi manger son chapeau! Soit la marque à l’ovale aurait dû prévoir d’en produire plus que les 1.000 exemplaires promis,soit elle aurait dû taper un tarif encore plus élevé. Mais il faut croire qu’au moment de fixer le prix de sa voiture, elle a hésité, genre: «Et si passer au-dessus de la barre psychologique du demi-million nous empêchait d’écouler toute la production!?». Bref, elle l’aurait vendue 100.000 euros de plus qu’elle aurait probablement quand même tout vendu… et gagné 100 millions de plus! Mais tant mieux pour les heureux acheteurs de cette supercar, à commencer par les sept Belges qui ont gagné le droit de signer ce gros chèque…

Née pour Le Mans

Si j’ai abordé cet essai par des considérations aussi vulgaires, c’est pour vous faire comprendre que «malgré» l’ovale bleu sur le capot, nous sommes là en présence d’une vraie supercar, coûtant le double d’une Ferrari 488. De quoi se montrer particulièrement exigeant car a priori, sur le papier, cela ne se justifie pas dès le premier coup d’œil. Moteur V6 de 647 chevaux (SAE encore bien!), poids de 1.385 kilos à vide (soit 15 de plus que la «modeste» italienne…)… Ce ne sont pas ces caractéristiques qui ont déclenché cette ruée vers les bons de commande! Mais quoi, alors? L’exclusivité, d’abord. Il est certain qu’avec seulement 40 unités destinées à l’Europe par exemple, vous en verrez infiniment moins que des Ferrari. Ca compte! La genèse, ensuite. Comme son aïeule des années 60, cette voiture est née pour gagner les 24 Heures du Mans. Elle l’a d’ailleurs fait brillamment dès sa première participation (catégorie GT, en 2016), et ces origines prestigieuses transpirent de partout.

L’expression «de la course à la route» a été plus que galvaudée dans l’histoire récente de l’automobile. Ici, c’est pourtant la pure vérité. A l’origine, Ford avait un objectif: remporter les 24 Heures du Mans 2016 pour fêter les 50 ans de sa première victoire avec la GT40 originelle. Mais il n’était pas encore question de produire une nouvelle GT: pendant un an, les Américains ont évalué la possibilité de le faire avec une Mustang. Mais il fallut bien se rendre à l’évidence: les modifications à apporter à la simple «muscle car» d’origine étaient tellement importantes qu’il valait mieux partir d’une feuille blanche. D’où l’idée de cette GT de 3e génération, plus de dix ans après la sortie de la précédente. L’obsession de Ford? Obtenir la surface frontale la plus faible possible, afin de générer un minimum de traînée aérodynamique, si pénalisante en compétition et particulièrement sur le circuit du Mans composé de longues lignes droites. D’où la hauteur hyper-limitée de la nouvelle GT. Une vraie limande, qui fait passer une Ferrari pour une armoire normande!

Course contre la montre

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Le règlement des compétitions pour voitures de Grand Tourisme est clair: toute voiture voulant concourir dans cette catégorie doit être dérivée d’un modèle de série. Ford a un peu contourné la chose en créant une voiture de course pour gagner les 24 Heures du Mans 2016, avant de la décliner en version de route. C’était autorisé, à condition de livrer au moins deux exemplaires routiers en 2016, ce qui a été fait in-extremis… à Bill Ford et à son numéro 2. Au moins, eux ne se plaindront pas (publiquement) des défauts de ces «mulets». Ce fut donc la course contre la montre pour lancer cette production avant la fin de l’année dernière, et de petits défauts techniques bien excusables ont affecté deux des trois voitures que nous devions essayer à Salt Lake City début mai. Un problème de vérin hydraulique permettant de modifier la hauteur de caisse en fonction du mode de conduite choisi (la GT s’abaisse instantanément de 5 cm en mode Track et l’avant peut être relevé en une fraction de seconde pour passer les casse-vitesse) sur la première, puis un manque d’attaque au freinage sur l’exemplaire avec lequel nous avons roulé sur circuit. Mais ne vous inquiétez pas pour les acheteurs: Ford a évidemment la capacité de régler ces petits défauts de jeunesse, qui rappellent un peu le bon vieux temps, lorsque les premiers clients des supercars étaient aussi leurs derniers «metteurs au point».

Demandez aux premiers propriétaires des Lamborghini Miura ou autres Ferrari GTO: leur feedback était essentiel pour permettre à ces constructeurs de peaufiner leurs bolides. A mes yeux, cela rend le projet Ford GT encore plus beau et passionnant car il s’agit réellement de prototypes déguisés en voitures de Grand Tourisme, pour permettre à Ford de gagner Le Mans. C’est assurément cette philosophie, et la victoire dans la Sarthe en juin 2016, qui a permis à la marque américaine de vendre les 1.000 exemplaires prévus avant même que la presse n’essaye le modèle. Un peu le monde à l’envers, puisqu’aujourd’hui une Ferrari ou une Lamborghini n’est pas loin du «zéro défaut», faisant preuve d’une perfection presque glaçante! Restait quand même à vérifier si la version routière de la Ford GT n’était pas un «trigu» comme on dit à Liège. Mettez-vous dans la peau des sept Belges ayant déjà signé le chèque d’un demi-million: comme je suis à ce jour le seul de leurs compatriotes à avoir roulé avec cette auto, il est fort probable que certains d’entre eux lisent cet article. Tremblez!

Siège fixe

Après une heure d’explications techniques dont je vous ferai grâce, vient enfin le moment de monter en piste. Enfin non, trois journalistes anglais passent avant moi… et quand vient mon tour, les vérins hydrauliques décident qu’ils ont assez bossé pour la journée. Il faut donc en urgence me trouver une autre auto. Ce qui s’appelle se faire désirer! Equipé d’un casque et même d’un Hans (système de retenue de la tête en cas de crash), je crains un peu de ne pas arriver à caser mon mètre nonante dans cette voiture hyper-plate mais ça passe, à condition de ne pas vouloir régler le dossier trop vertical. Quant au réglage de l’assise… il n’y en a pas. Comme dans les GT de course modernes, ce sont les pédales et le volant qui bougent. De quoi trouver une position de pilotage absolument parfaite! Mes affaires personnelles n’en diront pas autant. Je trouve une petite place pour mon portefeuille dans une mini-boîte sous le siège, un renfoncement pour déposer mon GSM… mais je dois caser mon agenda dans les «trous» du meuble de bord. Un peu limitemais ça me permet d’admirer la présentation de l’habitacle, magnifique avec cette prédominance de carbone (la coque est aussi faite de cette matière) et quelques touches de cuir. Franchement très réussi, à la fois moderne, sobre, élégant et très «racing». Idem pour le volant regroupant pas mal de fonctions, y compris (malheureusement) la commande de clignotants, comme chez Ferrari.

Voiture américaine oblige, on trouve quand même deux porte-boisson. Par contre, le coffre est minuscule: à peine plus grand que la boîte à gants d’un monospace! Et vu l’endroit où il se trouve, juste derrière le moteur, mieux vaut ne pas y mettre du chocolat!

On entend les cailloux…

Le moteur se lance en poussant sur le bouton rouge situé entre les sièges. De quoi réaliser que le chef instructeur du circuit de l’Utah, qui m’accompagne, est vraiment assis tout près de moi. Nos coudes se touchent. Pas top dans ce cas-ci mais pour les balades en amoureux ça le fera! Cela évitera aussi de devoir trop hausser le ton, car le son du moteur est bien présent. Difficile, d’ailleurs, de deviner qu’il s’agit d’un six cylindres. On m’aurait dit qu’il en avait deux de plus, je l’aurais cru! Une très belle sonorité, donc, que ce soit au démarrage ou à l’accélération. Mais, je pourrai le vérifier plus tard sur la route, en 7e à vitesse stabilisée, l’insonorisation est largement acceptable pour une telle sportive. Par contre, en raison de la coque carbone, on entend le moindre caillou, comme dans une voiture de course. Mais une fois la surprise passée, j’ai trouvé cette caractéristique plutôt sympa car cela ajoute encore au caractère «racing» de la bête.

Et ce caractère se retrouve à tous les niveaux: à part l’unique exemplaire de Gillet Vertigo Spirit qui a existé, je n’ai jamais eu l’occasion de piloter une voiture homologuée pour la route qui soit aussi proche d’un bolide de compétition. Sauf que même en mode «Track», l’ESP reste connecté (mais très discret), ce qui met en confiance et permet d’attaquer directement sans arrière-pensée.

Le plus impressionnant dans cette voiture est son parfait équilibre. Ses limites sont forcément éloignées et il faut déjà avoir pas mal d’expérience GT en circuit pour les atteindre. Mais une fois que ces limites sont atteintes, on fait ce qu’on veut de l’auto. Suivant la manière d’entrer dans le virage et d’en sortir, la Ford GT se montre en effet soit légèrement sous-vireuse, soit légèrement survireuse. C’est le pilote qui décide! L’aérodynamique active aide à ce que ce soit même le cas dans les courbes rapides, même si un plus gros aileron arrière, comme sur la version de course, serait évidemment bienvenu pour passer encore plus vite dans les virages pris à plus de 200 km/h. Mais pour une voiture de route c’est déjà tout à fait exceptionnel. Audi devrait en prendre de la graine pour la R8, qui manque clairement d’appui à très haute vitesse.

Il est juste dommage que ma voiture de «remplacement» soit affectée d’un problème de mordant des freins. Même en enfonçant la pédale de gauche (celle des freins puisqu’il s’agit d’une boîte séquentielle à palettes) de toutes ses forces, il faut attendre plus d’une seconde avant de sentir la décélération que l’on est en droit d’attendre d’un tel engin. Mais je pourrai constater plus tard, avec la voiture destinée aux essais routiers, que mon exemplaire «circuit» avait un problème à ce niveau, comme je le supposais. On est encore dans l’artisanat, je vous le disais! C’est d’ailleurs la société Multimatic, bien connue en sport automobile, qui construit ces 1.000 GT pour Ford… qui va sans doute devoir resserrer quelques boulons dans les jours qui viennent, afin que les futurs exemplaires livrés soient plus conformes à l’idée que l’on se fait de la qualité de fabrication d’une marque comme celle-là. Mais encore une fois, si on en est là, c’est parce qu’il a fallu que la GT soit prête pour les 24 Heures du Mans 2016… et donc que les premiers exemplaires de la version de route soient encore livrés l’an dernier. De quoi largement pardonner ces petits défauts de jeunesse, surtout que le plaisir ressenti derrière le volant ne se calcule pas, lui. Entre ce châssis extraordinaire, une boîte qui répond à merveille (encore qu’elle pourrait accepter de rétrograder à plus haut régime pour offrir davantage de frein moteur) et le «petit» moteur 3.5 turbo qui fait largement le job, le bonheur est total! Espérons que les futurs propriétaires de ces engins n’hésitent pas à aller s’enjailler de temps en temps sur circuit car cette auto est faite pour. Elle a même un arceau de sécurité intégré, notamment aux montants de pare-brise. Une solution intelligente et élégante! Les harnais 5 points, en revanche, sont optionnels. Mais il serait dommage de s’en priver car ils permettent de mieux faire corps avec l’auto, et évidemment d’être bien mieux protégé en cas de crash.

Temps de réponse

Naturellement, après une telle description des qualités de cette auto sur circuit, vous vous dites qu’elle doit se révéler un boulet sur la route, inconfortable et tout et tout. Eh bien, pas du tout! C’est la surprise du chef: grâce aux suspensions actives et au bouton «confort» situé entre les sièges, il est tout à fait possible de faire de longues distances sans en avoir plein le dos. Je dirais même que cette Ford GT est plus confortable qu’une Ferrari, malgré sa supériorité évidente sur piste. Il y a même un régulateur de vitesse.

Ma seule petite déception vient du temps de réponse du turbo à bas régime. Autant sur circuit (et donc à haut régime) j’ai été étonné par sa réaction immédiate en sortie de courbe, autant sur route, il faut attendre un peu avant de sentir le turbo se réveiller. En fait, ce phénomène n’apparaît que sous les 3.000 tr/min. Du coup, en 7e, si vous essayez de reprendre à 2.000 tours, vous vous faites déposer par le premier pick-up venu. Une piste d’amélioration à creuser pour Ford. A part ça, ne changez rien!

Conclusion

La valeur d’une supercar est toujours un peu subjective. Il serait malhonnête d’affirmer que cette Ford GT vaut vraiment deux Ferrari 488. Mais elle a ce petit quelque chose de passionnant, exclusif, historique et excitant qui fait que ceux qui ont payé un demi-million d’euros pour l’acquérir ne le regretteront pas!

La Ford GT en quelques chiffres

Moteur : V6 biturbo, 3.497cc; 647ch à 6.250tr/min; 745Nm à 5.900tr/min

Transmission : aux roues arrière

Boîte : double-embrayage 7 rapports

L/l/h (mm) : 4.779/2.238/1.109

Poids à vide (kg) : 1.385

Volume du coffre (l) : 11

Réservoir (l) : 57,5

Prix : 500.000€ TVAC

Puissance: 647 ch

V-max : 347 km/h

Conso. mixte : NC

CO2 : NC

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Par Stéphane Lémeret Éditeur

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